Juliette Mouquet, la raison poétique
« Il n’y a pas de poème sans destinataire » disait Antonin Artaud, cité par Juliette Mouquet pour qui « les routes sont des carnets et les carnets des routes ».
Entre les paysages traversés du monde qu’elle arpente avec la ferveur des croyants et les visages sur lesquels elle se pose, la poétesse-voyageuse tend comme des fils d’araignée – rien que de ténus fils de Soi(e) tissés au fil des rencontres, d’Alsace en Amazonie, par une délicate poésie à l’air libre :
Les jours sont des routes
Nous sommes rattrapés
Par ce que nous ne sommes pas
En juin 2014, elle a quitté ce qui fait une vie tout confort (dont un emploi d’ingénieur sanitaire) pour suivre sa raison poétique au long d’un dévorant chemin initiatique dans ce vaste monde vécu comme un chatoyant tissage de fables et de poèmes. Histoire de cerner l’indicible, de rendre visible un peu de l’irreprésentable, de capter la musique de ce qui est et de donner visage à tout l’inconnaissable possible. Les routes, les déroutes et les fables, ce n’est pas ce qui manque dans le monde, à commencer par celle du big-bang qui en chevauche bien d’autres, comme sur cette « île en forme de larme versée à la pointe de l’Inde » où la poétesse sent, sous la trompe d’un éléphant, sa finitude s’étirer jusqu’aux confins de l’inconnaissable : « L’univers se détend et donne le secret de son expansion à travers deux vies qui se relient. Le monde a tant besoin d’être cajolé dans ses longs silences et sa mémoire d’éléphant. »
Embarquée en poésie au sens pascalien du terme, Juliette Mouquet se suspend à ce qui élève et se recommence, contrairement au QI en chute libre de l’espèce présumée non inhumaine, ainsi qu’elle l’entend à la radio. Celle qui a arpenté les deux hémisphères pour intérioriser la sagesse des cultures et s’incorporer toute la poésie du monde pour en faire le mouvement même de sa vie s’est découvert en sa ville d’Obernai, un matin d’hiver au cœur de la débâcle de l’Occident, un « allié de bienveillance dans le sensible » : « Certains salissent le monde et d’autres le transforment »…
Je fais claquer
La bulle de chaque jour
Entre mes doigts
Pour récolter
L’éclair de la joie
Si en poésie toute question s’aiguise sur ce qui l’aggrave, il arrive aussi, comme en ce bel été invincible des poétesses, qu’elle se délivre en un éclair d’évidence et d’humanité, à l’instar de celle d’Eluard qui souda ces deux mots : « l’amour, la poésie »…
Juliette Mouquet, La Poésie vagabonde – Carnets de route, poèmes et photographies, éditions du Tourneciel, collection « Le Miroir des échos », 28 €