« C'est le matin, un matin de lait, comme dit un poète arabe. La mer est pleine de brumes. La mousson de nord-est souffle depuis trois jours. Accoudé au bordage, les yeux impatients, j'attends que le voile de brouillard se lève […] Dés qu'on arrive à quatre milles de la côte, la lorgnette révèle le plus éblouissant spectacle. L'horizon se crève sous un jet de lumière verte, et Ceylan, la reine des îles, mollement couchée sur le coussin mouvant de ses ondes, apparaît, radieuse, sous son manteau brodé de pierres précieuses. En une seconde, devant cette vision magique, l’œil s'est reposé de toutes les tristesses du voyage, de toutes les fatigues de la traversée. La mer bleuit, des pirogues à balancier que montent des pêcheurs de perles, se jouent autour du navire. Plus on approche mieux s'aperçoivent les hauteurs des jolies collines de Pointe-de-Galle et les sommets imposants du pic d'Adam. On suit la côte pendant quelques heures. Partout des plantations de cocotiers, de bananiers ou de palmiers Dhoni ; des champs de cannelle et de citronnelle, des poivriers et des cannes à sucre, des étages de jardin féeriques ; et de ci de là, la fumée blanche d'une locomotive. Rien de notre pauvre végétation européenne ne saurait donner une idée de la magnificence de cette nature cinghalaise. »
Lettres de l'Inde, Octave Mirbeau (1885)